Des griefs illimités : Comment la politique palestinienne est devenue l'alibi des excuses

Il faut être un véritable génie pour hériter de milliards d'aide étrangère, de décennies d'indulgence diplomatique et de la sympathie de la moitié du monde, puis transformer tout cela en répression, cynisme et ruines. Pourtant, c'est sans conteste ce qu'a accompli l'autonomie palestinienne depuis sa naissance dans les années 1990.
Nulle part ailleurs autant n'a été donné pour si peu. Trente ans après la célèbre poignée de main sur la pelouse de la Maison Blanche, que reste-t-il du rêve palestinien ? Non pas le squelette d'un État en devenir, mais deux tyrannies mesquines : l'Autorité palestinienne sclérosée en Cisjordanie et la tyrannie théocratique du Hamas à Gaza. L'une ressemble à une ville industrielle stagnante dirigée par des bureaucrates vieillissants, l'autre à une secte fiévreuse armée jusqu'aux dents mais moralement corrompue.
Et pourtant, le même refrain résonne dans les chancelleries occidentales, les ONG et les pages éditoriales : s'il y avait moins de points de contrôle, moins de barrages, moins d'implantations, une démocratie florissante s'épanouirait entre le fleuve et la mer. L'occupation, sloganent-ils, est la source de toute misère. La responsabilité est toujours extérieure, jamais intérieure. Les tyrannies elles-mêmes sont traitées comme des tragédies inévitables plutôt que comme les choix délibérés d'hommes ayant des noms, des titres et des comptes bancaires en Suisse.
Considérons les faits.
Depuis 1994, les territoires palestiniens font partie des endroits les plus généreusement subventionnés au monde. L'Union européenne, les États-Unis, les Nations unies et les monarchies du Golfe ont tous versé des sommes colossales à Ramallah et à Gaza. Des dizaines de milliards, pas des millions. Une aide destinée aux écoles, aux routes, aux tribunaux, aux cliniques, aux infrastructures de l'État plutôt qu'aux slogans de résistance. Une aide d'une ampleur dont la plupart des nations postcoloniales ne peuvent que rêver.
Et pourtant, que reste-t-il après toute cette générosité ?
En Cisjordanie, Mahmoud Abbas préside comme un petit pacha ottoman s'accrochant à son poste par pure inertie. Son mandat actuel, qui approche maintenant de sa troisième décennie, a commencé alors que YouTube n'existait pas encore. Les élections ont été reportées si souvent que personne ne prend plus la peine de prétendre qu'elles auront un jour lieu. Les rivaux disparaissent en exil ou en prison. Les journalistes apprennent les limites de la liberté de la presse lorsque les services de sécurité arrivent après minuit. L'Autorité palestinienne conserve le titre d'« autonomie », mais gouverne principalement par le clientélisme, la corruption et la rhétorique éculée d'une révolution qui s'est depuis longtemps transformée en bureaucratie.
Gaza n'offre aucun répit à ce spectacle. Lorsque le Hamas a pris le pouvoir en 2007, il a promis la pureté contre la corruption de l'Autorité palestinienne. Ce qu'il a livré, c'est un despotisme théologique : le budget a été consacré aux roquettes plutôt qu'aux hôpitaux, l'économie a été sacrifiée au culte du martyre, les dissidents ont été réduits au silence par la ferveur religieuse. Ses dirigeants ont clairement indiqué, à maintes reprises, qu'ils préféraient voir Gaza en ruines si cela permettait de poursuivre la guerre plutôt que de la voir reconstruite dans le cadre d'un compromis ressemblant à la paix.
Ensemble, ces deux régimes ont réussi à créer non pas un prototype d'État, mais un avertissement à tous ceux qui seraient tentés de romancer les « mouvements de libération » après leur accession au pouvoir.
Et pendant tout ce temps, les milliards ont continué à affluer. Des écoles ont été construites, certes, mais elles sont devenues des laboratoires de propagande. Les ministères ont été dotés en personnel, mais avec des cousins et des copains. Les forces de police ont été formées par des donateurs occidentaux qui imaginaient naïvement qu'elles lutteraient contre la criminalité plutôt que d'écraser la dissidence. Toute une série d'ONG ont ouvert des bureaux à Ramallah pour « renforcer la société civile », comme le dit le jargon, et ont fini par regarder la société civile dépérir sous le poids combiné de l'inertie et de l'intimidation.
On ne peut en imputer la responsabilité à Israël, à moins de croire sincèrement que les postes de contrôle à Naplouse ont contraint Mahmoud Abbas à annuler les élections pendant deux décennies ou persuadé le Hamas de détourner le ciment destiné à des projets immobiliers vers la construction de tunnels militaires. L'occupation explique beaucoup de choses, mais elle n'explique pas pourquoi les dirigeants palestiniens se sont révélés plus doués pour réprimer leur propre peuple que pour le gouverner.
Pourtant, l'habitude de trouver des excuses a la vie dure. Les gouvernements et les journalistes occidentaux préfèrent le spectacle moral familier : Israël comme cause, les Palestiniens comme victimes passives de l'histoire, leurs dirigeants comme des figures tragiques plutôt que comme des autoritaires dotés d'une volonté et d'appétits. La kleptocratie à Ramallah et la théocratie à Gaza sont tolérées parce que les affronter reviendrait à admettre que la misère palestinienne a des auteurs palestiniens. Il est beaucoup plus facile de rédiger une autre résolution blâmant les suspects étrangers habituels que de se demander pourquoi des décennies d'aide et de sympathie n'ont pas produit la démocratie, mais des États policiers rivaux.
La vérité est simple. L'autonomie palestinienne n'a pas été étouffée de l'extérieur. Elle a été gaspillée de l'intérieur, par des hommes qui ont découvert que le monde récompense davantage la défiance que la compétence, la victimisation que la responsabilité, et le théâtre de la résistance que le travail de réforme.
L'État n'est pas un prix de consolation. Il n'est pas décerné pour les souffrances endurées ou la longévité des griefs. Il se mérite en construisant les rouages ordinaires, ennuyeux et indispensables du gouvernement : des lois qui s'appliquent même aux puissants, des budgets qui peuvent survivre à un audit, des écoles où les élèves apprennent les sciences plutôt que des slogans, des élections dont les résultats ne sont pas prédéterminés.
Rien de tout cela n'existe aujourd'hui dans les territoires palestiniens.
Ce qui existe à la place, c'est le théâtre de la « résistance », le culte de la « fermeté », les discours interminables sur la dignité prononcés par des hommes qui craignent bien plus le verdict de leur propre peuple que celui d'Israël. Des forces de police sans tribunaux indépendants. Des ministères sans transparence. Des écoles où la pensée elle-même est rationnée.
Tant qu'il n'y aura pas de dirigeants qui valorisent les institutions plus que les slogans, l'éducation plus que l'endoctrinement, la citoyenneté plus que le martyre, il n'y aura pas d'État digne d'être reconnu, seulement une mise en scène sans fin du statut de victime, subventionnée par les étrangers, applaudie par les romantiques et payée par ceux-là mêmes qui sont pris au piège entre la corruption et le fanatisme.
Et ainsi, le monde attend, chéquier à la main, répétant les vieux clichés sur les deux États tout en détournant les yeux des régimes qui ont transformé le rêve d'un seul État en un fief clinquant et gaspillé.
L'occupation prendra peut-être fin un jour. Mais ce qui la remplacera, si tant est que quelque chose de valable la remplace, ne dépendra pas de la générosité des étrangers ou de l'hostilité d'Israël, mais de la décision des dirigeants palestiniens de choisir enfin le travail difficile et peu glamour de construire une société plutôt que le théâtre bon marché et enivrant du statut de victime perpétuelle.
Jusqu'à présent, ils ont fait de mauvais choix.

Ab Boskany is Australian poet and writer from a Kurdish Jewish background born in Kurdistan (northern Iraq). His work explores exile, memory, and identity, weaving Jewish and Kurdish histories into fiction, poetry, and essays.